Une bonne chose de faite

aller-retour à paris dans la journée.
trois heures de train et des questions plein la tête.
le coeur qui bat, la peur de l'échec.

assis dans le wagon, je lis et relis ma présentation pour convaincre le jury que c'est bien moi qu'ils cherchent.
quelle prétention !
mais c'est le jeu.
le poids de l'enjeu me pèse. non que ce soit comme il y a trois ans...
à l'époque c'était une question de survie : en terminer avec le chômage de longue durée entrecoupé de petits jobs.
non, là tout va bien.
sauf qu'il y a enjeu tout de même.
c'est pour un poste de chercheur. le genre de métier pour lequel je me suis construit pendant presque dix ans.
mais voilà, des postes en sciences humaines ça ne court pas les rues. d'ailleurs certains pensent que c'est une légende urbaine les créations de postes en sciences humaines. et puis ça fait cinq ans que j'ai soutenu ma thèse. dans peu de temps je ne pourrai plus la vendre même si je l'ai publié.
alors voilà, j'ai la pression.

en sortant du téoz, j'ai hésité à prendre le métro pour me rendre à st lazare. finalement, j'ai pensé que la lumière des néons me rendraient neurasthénique. j'ai pris le bus. la lumière du jour sera bénéfique à mon humeur. voir paris c'est toujours un ravissement; même si c'est à la vitesse d'un cheval au galop.

st lazare, un ticket de banlieu, levallois-clichy, j'ai une heure et demi d'avance sur mon rendez-vous.
de quoi gamberger encore ...

et là je pense à nico.
à cette sacoche en cuir qui lui appartenait et que j'ai pris avec moi. je me sens vivant.
mais mon coeur a tendance à s'affoler. alors je vais faire un tour, lire dans une librairie, boire un café, laver mon esprit de l'angoisse. de cette peur de ne pas être compris, de mal m'exprimer, de tomber dans un piège psychologique que je me serais tendu à moi même.
et finalement, le calme vient.
je prends l'ascenseur pour le second étage.

dans la salle d'attente, d'autres candidats sont là. et ô surprise, devant moi, je découvre ma concurrente. joli, frêle et tout aussi tendue que moi. mais il ne faut pas laisser paraître.
alors je fais mon show. je parle à tout le monde, m'intéresse à leur situation et je comprends au contact de ma concurrente qu'elle est plutôt bien placée dans l'institution que j'espère intégrer.
mais surtout, je perçois le gouffre qui nous sépare : nos profils sont quasi-opposés.
ça peut paraître étrange, mais ça m'a détendu presque aussitôt.
j'ai évalué que mes chances étaient faibles et que la seule carte maîtresse que j'avais dans mon jeu est mon sens aigu des relations humaines et mon empathie.
c'est décidé, pendant l'entretien je resterai moi-même.
sans concession. que le jury ait un vrai choix à faire.

au bout de dix minutes, d'une conversation fade -difficile d'avoir des échanges passionnants en pareilles circonstances- une dame et venu la chercher. Une demi-heure plus tard, c'était mon tour.
les jambes qui flageolent.
la tête dans les nuages.
mais qu'est ce que je fous là en fait ? puisque mes chances sont minimes.
pour l'honneur.
pour ne pas avoir de regrets.
pour ne pas me renier.

et j'ai fait ce que j'avais décidé en rencontrant ma concurrente.
j'ai passé l'âge d'hésiter à dire ce que je pense, d'autant plus que selon moi, le métier de chercheur -outre le prestige- c'est savoir oser, tenter des choses, transgresser si nécessaire, et dire clairement qu'on ne sait pas mais que cette réponse n'est pas définitive. qu'on ira fouiller n'importe où, qu'on ne baissera pas les bras pour  construire des hypothèses. et que finalement, fausses ou avérées, ces hypothèses feront de nous des êtres, certes toujours ignorants, mais un peu moins débiles.
j'ai joué ma partition.
je ne sais pas s'ils ont aimé la musique.
rendez-vous le 11 juillet pour en avoir le coeur net même si je n'ai pas beaucoup d'espoirs.
au moins cet exercice m'a rassuré sur un truc : je ne suis pas trop rouillé.
pour ça au moins, ça valait le coup de le faire.