Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
_mouloud_
4 avril 2008

I am the King of the World !

le cri d’un gamin à la proue d’un bateau qui va couler (mais il ne le sait pas encore).

king

Le premier grand événement de ma vie est advenu à l’âge de 9 ans : le vendredi 13 juin 1980.
Un instant qui aura de lourdes conséquences : j’étais le premier devant le sas du bus qui nous ramenait à la cantine. Cette position allait me permettre d’être le premier dans la cours de récré pour décider des équipes de foot.
À peine le Pchchchchit du sas se faisait entendre que j’étais dehors, échappant à la garde des monitrices.
Je cours devant le bus, débouche sur la route, et c’est le trou.
Je n’ai aucun souvenir de ce qui suivit mais on me l’a abondamment raconté.
Une voiture roulant à très vive allure m’a renversé. On m’a dit qu’après le choc, l’avant de la voiture était défoncé. Quant à moi, j’ai fait un vol d’une quinzaine de mètres pour m’emplafonner sur un panneau de stop.
Bilan : multiples fractures des membres inférieurs, traumatisme crânien, coma…
Si je n'étais pas tombé sur ce chirurgien de garde ce jour là, j'aurais pu perdre ma jambe gauche dont le fémur avait explosé sous le choc.
Je suis resté alité pendant deux mois, pour finalement passer un temps en fauteuil roulant.
J’ai eu beaucoup de chance.

Pendant cette période, toute ma famille a été aux petits soins, ce qui a développé chez moi un goût prononcé et inconnu jusqu’alors pour le service à ma personne.
J’ai passé des vacances d’été à me reconstruire et j’ai raté trois mois d’école.
De retour en classe, ce n’était plus pareil. Outre les maux de tête qui gênaient ma concentration –et dont j’ai outrageusement abusé par la suite pour justifier mon choix de ne rien faire- j’avais la soif d’autres choses.

C’est fou comme j’ai pu m’ennuyer à l’école.
La pire des période a été celle allant du collège au Bac.
Il est vrai que cette période de la vie n’est facile pour personne.
C’est le temps des premiers grands émois qu’il faut apprendre à gérer tout seul.
Pendant toute ma période scolaire j’ai toujours fait le strict minimum.
De quoi donner le change au discours préfabriqué et convenu de la plupart de mes profs, et dégager du temps pour faire autre chose. Rester entre 10 et 14 sur 20 était aussi pour moi le moyen d’avoir une certaine tranquillité à la maison, d’autant que mon petit frère avait une scolarité brillante et focalisait les attentions.
J’ai vite compris que les premiers de la classe subissent une telle pression de leur entourage qu’ils se retrouvent prisonniers de l’excellence. Quant à ceux qui rament, ils sont placés en fâcheuse position toute l’année.
Moi j’étais dans la catégorie –et il y en a légion- des « peut mieux faire », « étourdi, rêveur, doit plus se concentrer en classe ».

Cette attitude est devenue progressivement un choix conscient et calculé.
Je m’explique : Ceux de ma catégorie n’ont pas toujours eu la possibilité de prouver ce qu’ils ont dans le bide à l’école.
Éternels moyens plus, ils traînent derrière eux une collection de casseroles pleines de regrets ou d’occasion ratés.
Car selon moi, l’école est à ce titre d’une violence inattendue : un lieu de frustration sur ses propres capacités intellectuelles que l’on traîne à l’âge adulte par un comportement plus ou moins complexé.
Pendant des années on nous fait croire, parce que certains profs le croient –et ce n’est sûrement pas leur seule faute- que si on est nul en classe, on est nul tout court.
C’est dingue comme l’avenir des individus infirme cette idée.
C’est pourquoi à mon sens, l’école est une chose formidable si l’on sait garder ses distances et relativiser le discours normatif qu’elle véhicule souvent.

Bref, parvenu en CM2, je me suis retrouvé avec un instit’ hors norme. Il était autoritaire, violent, stupide et de surcroît directeur de l’école. Cet homme organisait sa classe -et cest une antiphrase- de manière fort intelligente et rationnelle : les élèves étaient positionnés dans la salle en fonction de leur niveau.
Les premiers étaient devant, et les derniers étaient au fond.
Une ambiance que je vous laisse imaginer.
Au regard de mes résultats l’année précédente, il m’avait placé en quatrième position.
Pourtant, de mois en mois, je n’ai cessé de dégringoler jusqu’à la 13e place.
Je me trouvais alors dans le ventre mou. C'était la première fois !
Arrive alors le printemps, et la décision de ma mère de confisquer tous mes jouets jusqu’à nouvel ordre.
Ma réaction fut sans appel : le mois suivant, j’étais premier de la classe.
Ce fut pour moi l’opportunité de dire à mes parents : « vous voyez bien que j’en suis parfaitement capable, alors maintenant qu’on me laisse en paix ».
Cette pensée était présomptueuse.
Mes parents ont eu du mal à me lâcher par la suite ; mais dans l’ensemble j’ai obtenu ce que je voulais : du temps pour dessiner, peindre, écouter et faire de la musique, regarder les dessins animés à la télévision…
Néanmoins, j'avais désormais la certitude que je pouvais "mieux faire".
Rassuré sur cette question, je pouvais l'écarter sereinement du revers de la main en disant : "ça ne m'intéresse pas"

Au cours des années qui ont suivi, j’ai conservé ma place dans le premier quart du panier mais sans trop me tuer à tâche.

Avant le Lycée j’ai passé un temps infini à faire des bandes dessinées jusqu’à ce que je découvre les jeux de rôle. Décriés et stigmatisés à la fin des années 1980, ces jeux m’ont apporté énormément.
Exit le garçon discret et timide.
Cela tenait à ma position de Maître des jeu, à la fois créateur de la partie, conteur et garant des règles du jeu. Dès lors, j’ai beaucoup moins dessiné si ce n’est pour illustrer les aventures.
Désormais, tout mon temps libre était consacré à la genèse d’un monde imaginaire où les amis qui jouaient avec moi faisaient évoluer leurs personnages.
Non content de créer des aventures pour nos parties, il était essentiel pour moi d’écrire l’histoire de ce monde. Le jeu de rôle a eu une place importante dans mes loisirs jusqu’en Licence d’histoire.

L’histoire a toujours été prépondérante et une source majeure de mon imagination.
Fils de pieds noirs d’Algérie j’ai tout de suite été placé en droite lignée de ces femmes et ces hommes venus d’Italie, d’Espagne, de France et de Malte. Pour comprendre d’où je venais il était donc important que j’écoute avec attention les histoires de mes aïeux. La mayonnaise a prise et ma passion pour l’Histoire n’a cessé de grandir avec le temps.
Ô bien sûr, je n’ai eu aucun plaisir à apprendre par cœur toutes sortes de dates et de lieux, triste méthode d’apprentissage employée à l’école. En fait, bien peu de tout cela.
La force de ma passion faisait que j’intégrais très vite en évitant l’aspect fastidieux.
Le Bac en poche, il était donc évident que j’allais faire de l’Histoire, par plaisir, pour m’enrichir, sans trop savoir jusqu’où j’irai.

L’année de Licence à Toulouse fut une révélation.
Je me suis inscrit en retard.
Du coup, tous les cours où j’espérais me rendre étaient complets; numerus clausus oblige.
Quelle chance j’ai eu !
Les deux sujets qui m’ont le plus marqué portaient sur « l’histoire de la pensée médiévale » et  « la méditerranée médiévale et moderne » alors même que je n'avais pas pensé les choisir au début de l'année.
L’histoire de la pensée médiévale était un cours complexe entre latin, philosophie religieuse et sociologie. En méditerranée médiévale et moderne c’était encore autre chose. Un cours très exigeant mais original dans sa forme. Deux profs intervenaient en binôme, l’un médiéviste l’autre moderniste pour traiter du cours.
C’est grâce à eux que j’ai voulu être chercheur. De temps à autres ils se lançaient en plein cours des invectives de spécialiste pour réfuter l’argument de l’autre et insister sur la prépondérante de tel ou tel aspect pour expliquer la question inhérente au sujet.

C’était donc ça la recherche historique.
Adieu mon diplôme de Japonais !
Trois ans déjà que j’apprenais cette langue pour devenir diplomate.
Tout a volé en éclat.
Il fallait que je fasse un doctorat.
Il devenait important que j’écrive moi-même une page d’histoire.
Un truc à moi, en l'espérant pas trop pourri.
À partir de là tout a été simple. J’avais un but à atteindre et charge à moi de démontrer que je pouvais le faire.
J’ai quitté Toulouse pour Montpellier où il y avait une équipe de recherche dynamique sur les domaines qui m’intéressaient.
Lors de mon premier rendez-vous avec celui qui allait être mon directeur de recherche pendant 10 ans j’ai vite déclaré que je voulais faire une thèse. J’ai donc fait ma Maîtrise. Après 10 mois de service national, je suis retourné à la fac pour le DEA et j’ai terminé major de promo.
Ça s’est joué à un poil de cul.
Et comme cela j’ai décroché l’unique allocation de recherche proposée cette année là par l’université.

Je me suis cru arrivé.
Rétrospectivement, je me dit que pendant un an j’étais dans la peau de ces petits cons qui croient avoir tout compris parce qu’il en étaient là.
Moi qui n’ai jamais eu beaucoup d’argent, j’étais le premier de mes amis à avoir un salaire.
J’allais faire une thèse d’histoire politique et diplomatique.
Excitant !
J’allais devoir faire de longs séjours à Paris et à Londres pour mes recherches.
Stimulant !
J’allais participer aux activités de recherche d’une équipe CNRS de bonne tenue.
Réjouissant !

Pourtant, Jésus a dit « les premiers seront les derniers ».
Tu parle comme il a raison !
L’embellie a été de courte durée. Je me suis vite aperçu que j’étais dans une impasse : « sans agrégation, point de salut ! ». Et comme je ne voulais pas être agrégé, il devenait clair que j’allais grossir le bataillons des thésards-kleenex.

Comme ma vie professionnelle se couvrait de moisissure, j’ai décidé de prendre ma vie personnelle en main.
À mon retour de Londres en 1998, j’ai demandé la main de la belle jeune femme avec laquelle je vivais depuis deux ans.
Et elle a dit oui !
Nous nous sommes marié deux ans plus tard, et nous avons eu un garçon en 2001.
À la fac, ils n’ont pas tellement aimé.
La plupart des jeunes thésard sont d’indécrottables célibataires.
En général, à l’issue leur soutenance, ils se mettent en chasse désespérée d’une jeune femme qui voudrait bien les épouser. Même s’ils sentent la naphtaline et que leur seul conversation n’est jamais trop éloignée des préoccupations académiques, ils ont une arme imparable : ils sont jeune Maître de conférence.
Alors un trou du cul dans mon genre qui fait tout dans le désordre, c’est désagréable.
Il en est même un qui a eu la sublime de me dire :
- « tu sais moi, j’ai attendu de soutenir ma thèse avant de me marier ».
J’en rigole encore ! Et dire que pendant les trente ans qui viennent ce mec va faire la morale à des étudiants.

J’ai toujours détesté le conflit.
Mes choix, je les ai fait en douceur, sans prosélytisme ni référence idéologique.
Je me suis toujours méfié des jugements définitifs de quelque doctrine que ce soit.
Je déteste les maîtres à penser. Je continuais et je continue de me construire autour des miens.
C’est ce qui importe au premier chef. Pour le reste, je me suis révélé comme un électron libre.

Alors rien d'étonnant si après ma thèse j'ai dû passer par cinq ans de chômage et petits boulots.
C'est pas évident d'être un jouisseur.
C'est pas facile quand on est un petit con.
Mais j'assume.

Publicité
Publicité
Commentaires
_mouloud_
Publicité
Derniers commentaires
Newsletter
Publicité